Labyrinthe est un projet artistique autour d'une proposition de L'Étincelle, une association de Communay (Rhône), intitulée pour l'année 2023 :
"Errons, errons, créons en liberté".
« Ces mots nous font penser bien sûr à une ritournelle… qui n’est sans doute plus beaucoup chantée !
À travers une errance, une réflexion, mais en gardant bien sûr notre esprit d’enfance, nous vous invitons, par vos créations et vos mots, à voir comment rendre le monde meilleur, ne serait-ce qu’un tout petit peu !
Oui, le monde est malade
Oui, les injustices s’amplifient
Oui la planète se réchauffe et certains pays vont devenir inhabitables
Alors faisons une pause. Que l’Art soit un vecteur d’espoir ! »
Sur ce thème de l'errance (Errons, errons) et en remarquant le parcours labyrinthique imposé par l’Étincelle (chemin qui traverse le village et la campagne proche) le long duquel doivent être installées les œuvres, j'ai imaginé mettre en évidence le parcours d'errance des migrants et le labyrinthe administratif français dans lequel ils se perdent. Imaginons les tentes, ponts, squat, familles bienfaitrices où survivent ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces familles sans logement. Comment ressentent-ils le dédale administratif, les cases, dans lequel ils doivent tenter de s’insérer ?
Mode d’accrochage et données techniques :
Arte povera. De modestes moyens (ficelles et cartons) tout comme sont modestes les moyens des personnes à la rue. Textes écrits sur des cartons, cartons dans lesquels je percerai avec des trous dans lesquels je ferai passer des ficelles. Accrochage aux arbres, branches, barrières ou bancs : ce que je trouverai.
Panneau N° 1
Mars 2023. « À vot’ bon cœur, M’sieurs Dames ! Un ticket repas pour manger !? Une pièce pour dormir !? »
Elle était là, assise par terre sur un morceau de carton, la main tendue. Un papier posé devant elle : « J’ai fin ».
Panneau N° 2
Elle ne souriait pas, semblait avoir froid. Quelques flocons voletaient autour d’elle.
D’habitude, comme tous les passants, je passais mon chemin et détournais mon regard.
Je m’arrêtais. Visage rond, juvénile, 35 ? 40 ans ? Enveloppée dans une couverture, elle avait les yeux dans le vague. Je m’approchais : « Bonjour ! ». Ses yeux se plissèrent, les coins de sa bouche se relevèrent. Timide sourire.
Panneau N° 3
« Vous avez faim ? ».
« Oh oui ! ».
« Venez avec moi, je vais à la cafétéria à côté. Vous avez compris ? »
Je lui fis signe de la main, vers la bouche « manger ».
La jeune femme et moi entrèrent au chaud. Elle comprenait un peu le français. Elle mangea de bon appétit.
Panneau N° 4 bis
Elle venait de Crète où elle travaillait dans la restauration. Ses clients étaient français, ou anglais. D’origine albanaise, elle parlait donc quatre langues ! Elle était arrivée depuis deux ans avec son mari, il était ensuite parti de l’appartement. Sans ressource, elle avait quitté son logement.
Panneau N° 5
Une association lui avait donné une tente. Des policiers la lui avaient prise. Incompréhension. Elle avait dormi dehors, sur des cartons. Peur.
Une compatriote l’avait hébergée, un temps.
Elle s’était à nouveau retrouvée à la rue, bien seule.
Je lui proposais de l’héberger. Célibataire, j’habitais un F3. Un canapé convertible pouvait l’accueillir. Sourire éclatant, tel un soleil sur son visage.
Panneau N° 6
Je lui parlais un peu de moi. Nous discutions comme si nous nous connaissions depuis longtemps.
Toutes ses affaires, à part son sac, étaient chez la famille albanaise. Je devais retourner travailler. Que faire ? La patronne du snack accepta qu’elle reste jusqu’à cinq heures.
Panneau N° 7
Impossible de me concentrer, je pensais à elle tout l’après-midi. En sortant du travail, je me précipitais vers la cafétéria. Sera-t-elle encore là ? Je la vis qui lavait une table ! La patronne n’avait trouvé personne pour remplacer la précédente salariée, en congé maternité ! Elle voulait bien l’embaucher, mais … comment faire ?
Panneau N° 8
Elle avait cherché sur internet. Bien compliqué ! Déboutée de son droit d’asile, elle était sans papier. Présente depuis moins de trois ans en France, elle n’y avait jamais travaillé, encore moins « 24 mois, dont 8 dans les 12 derniers mois » ! Ubuesque ! Que faire ? Je promettais de chercher une solution.
Panneau N° 9
Nous partîmes en métro chercher ses affaires. Trois valises et deux sacs. Arrivées chez moi, je dégageais une étagère. Surprise ! Elle avait de très jolis vêtements grâce à La Croix-Rouge. La première chose dont elle eut envie fut de prendre une douche. Je cuisinais et fit son lit. Elle mangea très peu. Elle se coucha et s’endormit aussitôt, enfin en sécurité.
Panneau N° 10
Le lendemain, elle me raconta son parcours. Un mariage forcé avec un homme plus vieux qu’elle. Les violences quotidiennes. Bouteille de bière cassée sur la tête. Les viols. Les grossesses, les coups répétés sur le ventre. Les avortements. Seul moment de bonheur, la naissance de son enfant, prématuré, suivi de la mort de son bébé. Son employeur, le personnel de la maternité, la famille proche, personne ne savait ce qu’elle vivait.
Panneau N° 10
Heureusement elle travaillait ! Avec son argent, elle prit un avion. Son mari, sans cesse lui promettait d’être gentil. Rassurée ? Résignée ? Les coups reprirent. Un jour, plus violent que les autres, elle osa aller au commissariat. Il disparut. L’errance, les associations. Aucune trace de violence, aucune séquelle visible. L’Albanie n’est pas en guerre, elle n’est pas victime du Kanoun, ni réfugiée politique. Les dossiers déposés, tous rejetés.
Panneau N° 11
Ce travail lui permit de louer un appartement. Elle put même, Ô Joie ! Reprendre Max, son petit chien, unique confident de ses peines. Côté Préfecture, ce n’était pas gagné. Mais l’espoir renaissait.
À revoir ! Martine Silberstein, en remerciement à SINGA, merci à mon amie albanaise d’avoir partagé ta vie quelques mois avec nous.