Inventaire des choses qui…
à la manière de Sei Shonagon, femme japonaise du XIe siècle
Dame Sei Shōnagon est une femme de lettres japonaise, une dame d'honneur intime de l'impératrice Sadako. Elle a a écrit dans les premières années du XIe siècle, au moment de la plus haute splendeur de la civilisation de Heian, au moment où Kyôto s'appelait Heiankyô, c'est-à-dire « Capitale de la Paix.
Après la mort en couches de l'impératrice Sadako (1000), nous n'avons aucun détail sur sa vie, mais on estime que ses Notes de chevet ont été achevées entre 1001 et 1010.
Son livre, est considéré comme une des œuvres majeures de la littérature japonaise et mondiale et parfois comme la première forme romancée qui appartient au genre nommé Zoui Hitsou, littéralement "au courant du pinceau" et s'intitule Notes de chevet (Makura no sōshi) ou, "les Notes de l'oreiller", un texte inclassable, annonçant, dans la littérature « moderne », le fragment. Il inaugure un genre nouveau, une sorte de journal qui mélange anecdotes et réflexions où l'auteur donne libre cours à son esprit. C'est une collection de listes, de poésies, de complaintes et d'observations des notes se composant, sans plan ni méthode, de pensées, de remarques impromptues et d'images saisies sur le vif glanées tout au long de son séjour à la cour.
L'auteur, au fil des pages, met son cœur et son âme à nu, à travers de réflexions plaisantes ou sérieuses, d'aveux naïfs et de paysages poétiques... Des documents aujourd'hui inestimables qui nous racontent en des termes doux et subtils. Tantôt poétiques, tantôt vives, les remarques de Dame Shônagon émeuvent par leur simplicité et leur richesse... Subtils jeux de mots et paysages aux pinceaux habillent délicatement le récit et le parent d'or fin...Jamais démarche n'a été plus délicate, jamais mot plus juste... tout l'art du Zoui Hitsou se dévoile au travers de pensées spontanées et délicatement posées sur papier par l'un des plus illustres écrivains féminin du Japon.
Elle est également connue pour sa rivalité avec sa contemporaine Murasaki Shikibu, auteure du Dit du Genji. Son Makura no sōshi (Notes de chevet) constitue avec le Dit du Genji (Genji monogatari) l'un des chefs-d'œuvre de la littérature de l'époque Heian (IXe-XIIe siècles).
Choses qui font battre le cœur
Des moineaux qui nourrissent leurs petits.
Passer devant un endroit où l’on fait jouer de petits enfants.
Se coucher seule dans une chambre délicieusement parfumée.
S’apercevoir que son miroir de Chine est un peu terni.
Se laver les cheveux, faire sa toilette, et mettre des habits tout embaumés de parfum. Même quand personne ne vous voit, on se sent heureuse du fond du cœur.
Une nuit où l’on attend quelqu’un. Tout à coup, on est surpris par le bruit de l’averse que le vent jette contre la maison.
Choses qui font naître un doux souvenir du passé
Les roses trémières desséchées.
Les objets qui servirent à la fête des poupées.
Un jour de pluie, où l’on s’ennuie, on retrouve les lettres d’un homme jadis aimé.
Une nuit où la lune est claire.
Choses qui remplissent d’angoisse
Regarder les courses de chevaux.
Tordre un cordon de papier, pour attacher ses cheveux.
Avoir des parents ou des amis malades, et les trouver changés. À plus forte raison, quand règne une épidémie, on en a une telle inquiétude qu’on ne pense à rien d’autre.
Ou bien un petit enfant qui ne parle pas encore se met à pleurer, ne boit pas son lait, et crie très longtemps, sans s’arrêter, même quand la nourrice le prend dans ses bras.
Quand une personne que l’on déteste s’approche de vous, on ressent, de même, un trouble indicible.
Choses qui ne servent plus à rien, mais qui rappellent le passé
Une natte à fleurs, vieille, et dont les bords usés sont en lambeaux.
Un paravent dont le papier, orné d’une peinture chinoise, est abîmé.
Un pin desséché, auquel s’accroche la glycine.
Une jupe d’apparat blanche, dont les dessins imprimés, bleu foncé, ont changé de couleur.
Un peintre dont la vue s’obscurcit.
Dans le jardin d’une jolie maison, un incendie a brûlé les arbres. L’étang avait d’abord gardé son aspect primitif mais il a été envahi par les lentilles d’eau, les herbes aquatiques.
Choses élégantes
Sur un gilet violet clair, une veste blanche. Les petits des canards. Dans un bol de métal neuf, on a mis du sirop de liane, avec de la glace pilée. Un rosaire en cristal de roche. De la neige tombée sur les fleurs des glycines et des pruniers Un très joli bébé qui mange des fraises.
Choses qui ont un aspect sale
L’envers d’une broderie. L’intérieur de l’oreille d’un chat. Une foule de rats, dont le poil n’est pas encore poussé, qui sortent du nid tout grouillants. Les points des coutures, à l’envers d’un vêtement de fourrure qu’on n’a pas encore doublé. Quand il fait sombre dans un endroit qui ne semble pas particulièrement propre. Une femme qui n’est pas très jolie, et qui a une foule d’enfants, dont elle prend soin. Lorsqu’une femme qu’il n’aime pas très profondément tombe malade et languit longtemps, un homme, en son cœur, doit s’en sentir dégoûté.
* Un trésor nappé d'or blanc... Doux et fluide comme une simple feuille de papier sur laquelle s'évaporerait nos idées...
*Un éventail chauve-souris : éventail d'été, souvent sorti pour les fêtes
*La fleur du poirier est la chose la plus vulgaire et la plus déplaisante qui soit au monde. On ne la garde pas volontiers près des yeux, et l'on ne se sert pas d'un rameau de poirier pour y attacher même un futile billet. Quand on voit le visage d'une femme qui manque d'attrait, c'est à la fleur de poirier qu'on l'assimile, et, en vérité, à cause de sa couleur, cette fleur paraît sans agrément.
*Le Censeur [sous-chef des chambellans] (…) affirme souvent : « Même si une femme avait les yeux en long dans le visage, des sourcils lui couvrant le front, et un nez écarté en travers, je pense qu'on pourrait l'aimer si elle avait la bouche bien faite, le dessous du menton et le cou jolis, et si elle n'avait pas une vilaine voix ».
*C'est très détestable lorsqu'un jeune homme bien né appelle une personne d'un rang inférieur en disant le nom de cette femme comme une chose dont il a l'habitude. Même s'il connaît ce nom, il convient qu'il le prononce comme s'il avait oublié, par mégarde, la moitié des syllabes.
*Toute la nuit, nous entendons marcher, devant les chambres, des gens chaussés de souliers. De temps en temps, les pas s'arrêtent : on frappe à quelque porte, d'un doigt seulement, et il est amusant de se dire que malgré cela, la dame qui habite cette chambre a bien reconnu tout de suite, à sa manière de frapper, celui qui est là. Parfois, les coups durent très longtemps, et pourtant la dame garde le silence. L'homme pense sans doute qu'elle est endormie. Elle en a du regret ; le bruit d'un corps qui bouge quelque peu, le bruissement d'une étoffe font savoir au visiteur ce qui en est. La dame entend distinctement agiter son éventail.
*Quand le Capitaine sous-chef des chambellans arriva, j'ouvris la demi-jalousie de la face orientale, et je le priai d'approcher. Il s'avança, magnifique, portant un manteau de cour d'une superbe couleur de cerisier, avec une doublure dont la nuance et le lustre avaient un charme indicible. Sur son pantalon à lacets, couleur de vigne très foncée, on voyait, brodées çà et là, des branches de glycine, plus grandes que nature. La teinte et l'éclat de son vêtement de dessous écarlate paraissaient splendides, et, dessous encore, de nombreux vêtements blancs et violet clair étaient mis l'un sur l'autre.
*L'Empereur possédait une flûte appelée « Non, je ne l'échangerai pas ». Aux instruments qui appartiennent au Souverain, aux harpes, aux flûtes, à tous, on a donné des noms étranges. Pour les guitares, on les appelle par exemple : « Au-dessus du mystère », « Le pâturage des chevaux », « Le dessus du puits », « Le pont sur la rivière Wei », « Sans nom ». Les harpes japonaises se nomment : « L'œil mourant », « La chaudière à sel », « Les deux percées ». J'ai entendu aussi des noms tels que «(...) « Le petit dragon d'eau », (…), « Un coup sur un clou », « Deux feuilles »...
- Lire Prévert page 205 : inventaire
- Tout c'qu'est dégueulasse porte un joli nom d’Alain Leprest
Tout c'qu'est dégueulasse porte un joli nom
Amoco Cadiz, amanite, Sahel
Chrysanthème, canine, morsure, varicelle
Mygale, tarentule, épine, porte-avions
Tout c'qu'est dégueulasse porte un joli nom
Fourmilière, aiguille, acide et calice
Le Chemin des Dames, cercueil, cicatrice
Cyclone, ouragan, camisole, typhon
Tout c'qu'est dégueulasse porte un joli nom
Guillotine, cirrhose, nuit blanche, les Baumettes
Mirador, Stasi, syphon, baïonnette
Fleury-Mérogis, la rue Lauriston
Tout c'qu'est dégueulasse porte un joli nom
Amygdale, pavot, vérole, aspirine
Ecchymose, ortie, sanglot, carabine
Carmélite, javel, cobra, Charenton
Tout c'qu'est dégueulasse porte un joli nom
Camora, péplum, cyanure, mafioso
Tien-An-Men, amen, rasoir et ciseau
Ostie, Vatican, Jean-Marie, mormon
Tout c'qu'est dégueulasse porte un joli nom
Picador, arène, dollar et cédille
Ouragan, menotte, acide, Tchernobyl
Atome et neutron, neurone et citron
Et toi, c'est quoi ton p'tit nom?
Les Petits Riens qui font du bien et qui ne coûtent rien de Philippe Bertrand et Elisabeth Brami
Sentir l'odeur du pain grillé le matin, faire un concours de grimace devant la glace, lécher un plat, surtout après la préparation d'un gâteau au chocolat, se gratter quand ça vous gratte, respirer le parfum d'un livre neuf, sucer un noyau de cerise puis le cracher le plus loin possible, inventer des mots et des phrases dans des langues qui n'existent pas…
- Atelier d’écriture :Choses qui, à la manière de Sei Shônagon
Lire un ou plusieurs exemples de listes de Sei Shônagon.
Ecrire un titre de liste sur une feuille vierge, puis un premier élément de cette liste. Par exemple : Choses qui me font lever le matin La faim
Faire passer la liste à sa ou son voisin de droite, qui rajoute un élément à la liste, en fonction de son titre. « L’envie de découvrir ce que la journée me réserve. » Faire à nouveau passer la liste à droite, autant de fois que voulu. (Si 6-8 participants, la liste peut tourner jusqu’à revenir à celle ou celui qui l’a initiée, qui la clôture alors avec un dernier élément.)
Autres exemples de listes
• Choses que l'on entend parfois avec plus d'émotion qu'à l'ordinaire
• Choses particulières • Choses désolantes
• Choses dont on néglige souvent la fin
• Choses qui font naître un doux souvenir du passé
• Choses qui égayent le cœur
• Choses qui ne s'accordent pas
• Choses rares
• Choses qu'il ne valait pas la peine de faire
• Choses dont on n'a aucun regret
• Choses qui paraissent agréables
• Choses qui semblent éveiller la mélancolie
• Choses splendides
• Choses qui frappent de stupeur
• Choses qui sont loin du terme
• Choses qui perdent à être peintes
• Choses qui gagnent à être peintes (ou photographiées)
• Choses qui émeuvent profondément
• Choses qui donnent une impression de chaleur
• Choses sans valeur
• Choses qui emplissent l'âme de tristesse
• Choses qui distraient dans les moments d'ennui
• Choses qui sont les plus belles du monde
• Choses effrayantes
• Choses qui semblent pures
• Choses ravissantes
• Choses sans retenue
• Choses dont le nom est effrayant
• Choses enviables
• Choses que l'on a grande hâte de voir, ou d'entendre
• Choses qui ne servent plus à rien, mais qui rappellent le passé
• Choses qui sont éloignées, bien que proches
• Choses tumultueuses
• Choses négligées
• Choses qui ne font que passer
• Choses qui donnent confiance
• Choses qui rendent heureux
• Choses vénérables et précieuses
• Choses auxquelles on ne peut s'abandonner
• Choses désagréables
• Choses difficiles à dire
- Choses qui font rire
- Choses qui me mettent en colère
- Choses qui doivent être courtes
- Choses qui ne font que passer
- Choses désolantes