Je n'aime pas les gens froids
je n'aime pas les orties
je n'aime pas l'acide
je n'aime pas me cogner la nuit contre les meubles
je n'aime pas écrire au tableau noir et à la craie
je n'aime pas le gluant ni le visqueux
J'aime marcher pieds nus
j'aime prendre les gens dans les bras
j'aime palper de douces étoffes
j'aime déchirer de grands morceaux de tissus, de papier
j'aime palper les fruits et les légumes
j'aime le matin, me passer de la crème sur le visage
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Marcher dans le sable sec et sentir qu'il glisse entre mes doigts de pieds. Marcher pieds nus dans la boue froide du chemin. Sur le sable mouillé et cette sensation, quand la vague arrive, que le sol s'effondre sous ma plante de pieds.
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Je suis tactile. mais je n'aime pas les gens froids, je ne les prends pas dans les bras, je n'ai pas envie de les envelopper de ma chaleur animale, amicale. J'aime toucher les gens avec qui je parle, pour appuyer une idée, poser ma main sur la leur, les réconforter en leur tapotant légèrement l'épaule. Là, là, tout va bien, rassure toi. Je n'aime pas être heurtée par les passants pressés qui ne disent même pas "pardon !". J'aime caresser la joue de l'enfant triste, de ma mère quand un voile de souci passe devant ses yeux. J'aime serrer fort ma petite-fille quand elle arrive à la maison, un bouquet de fleurs de champs à la main. J'aime et à la fois je n'aime pas essuyer la larme qui coule sur sa joue , désarmée devant sa peine. J'aimerai prendre tous les gens dans mes bras mais certains se cabrent, craintifs, rétifs, apeurés par tant de familiarité.
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Le charnu des plantes grasses. Bassine mouillée. toile émeri. trou rugueux du béton. froid désagréable du chiffon mouillé. fleurs sèches crissant sous les doigts. toile rude. lamelles du store, du radiateur. tuyau rouge de l'extincteur. douceur des poiles de pinceau. enfoncer ses doigts dans le lourd chrysanthème. piquante brosse à reluire. bon prise en main de ce dodu tournevis. caoutchouc rugueux des tapis. papier collant, papier d'argent. graviers dans un sac. lentilles et graines dans un autre.
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Enfin seule ! Agathe était enfin seule dans l'immense médiathèque ! Contre tout ce que lui avaient dit et redit ses parents, elle se déchaussa, et se mis pieds nus. Dans la profonde moquette à bouclette elle écarté ses doigts de pieds. Le Pied ! En ces temps de froidure, comme elle était chaude ! Chaude comme le sable de cet été qui fuyait grain à grain sur sa peau.
Elle s'approcha des plante grasses et charnues et éprouva leur épaisseur, leur poids, l'humidité ou plutôt la sécheresse de la terre qui les entourait. Elle préleva un peu de cette terre mi noire, mi sableuse et s'en enduisit les mains humides. Toute différente de cette boue du chemin longeant le torrent, ce limon, crayeux dans lequel elle n'aimait pas gassouiller des pieds et des mains. Maintenant qu'elle était bien sale, il était temps de réaliser son rêve: laisser des traces de doigts sur les murs et surtout sur les pages immaculées des livres interdits, les livres de grands.
"Sauve toi la vie t'appelle" mais qui la prendra tendrement dans les bras ?
"Créature fatale", ce tuyau rouge de l'extincteur est dur, contrairement à ce qu'elle avait imaginé.
"Idées noires, nuits blanches" et vlan ! Ses cinq doigts bien noirs sur la 3è pages.
"Le sexe pour les nuls", les fleurs sèches crisaient dans sa main.
"Le pacte du menteur" et ses cinq petits marrons ramassés dans la cour de l'école.
"Crime", enfoncer ses doigts dans le lourd chrysanthème puant.
"Un cœur sombre" et son trou rugueux de béton.
Agathe la douce, la rebelle, la tendre, la rugueuse, la lisse laissait son empreinte et ses mots dans chaque livre.
Fatiguée, elle se coucha et s'enveloppa dans la douce couverture de "L'interprétation des rêves" de Freud.