Ma très chère Rose,
Un été de plus loin de toi..
Je t'écris de la terrasse de ma chambre d'hôtel où je fume une cigarette en regardant le Nil scintiller. La chambre est étouffante. Mon mari et mon fils sont sortis. J'en profite pour respirer. J'en profite pour t'écrire [... }
Où es-tu ? Comment en est-on arrivées là ? Pourquoi suis-je partie ?
Je me souviens de tout. De tes manières de New-yorkaise, de ton terrifiant talent, de ta dégaine complètement décalée. Je crois que tu me manques. Que tout me manque. Notre vie était un long métrage et, putain, tu en étais la cinéaste.
Mon enfance, mon passé, New-York dans les années 90, tes allures de poète en perdition, ta voix quand tu chantais du Billie Holiday, dans ce bar de la 5ème avenue, la rose tatouée sur ton épaule, ton calme et ta passion.
Ma tête est lourde.. Seule sur cette terrasse, casquette vissée sur le crâne, lunettes noire pour cacher ma sale gueule, clope au bec, je me sens ordinaire. Extrêmement ordinaire. Dans cet auto portrait, je n'ai plus rien de la jeune prodige d'antan.
Je traîne ma peine de petites villes en villes un peu plus grandes, et rien, ni mon mari, ni mon gamin ne parviennent à me faire oublier New-York et ton visage.
Je ne suis plus qu'une parfaite inconnue, niaise et stupide, intriguée par tout ce que je ne suis plus, cachée derrière un masque fait d'or et d'argent.
J'ai un coup de blues, Rose et ce n'est pas de ta faute, ça ne l'a jamais été.
Le soleil se couche sur le Nil, et moi je ne reviendrai jamais.
Avec tout mon amour et mon affection
Elisabeth
(Alias Emilie)