Dans le jus

Publié le 2 Juin 2020

Dans le jus

Les sons, les odeurs, les saveurs, les textures. Depuis ma toute petite enfance mes cinq sens sont en éveil. 

Marseille.

J’ai trois ans. A l’étable la source tiède du lait trait à l’instant, l’odeur puissante des émanations.

J’ai quatre ans. Inoubliables brousses du Rove, lait caillé des chèvres, légèrement sucré et toute la sapidité sur les papilles.

J’ai cinq ans. Pogne de Romans encore chaude et son ineffable odeur de beurre, ou Saint-Genix et ses belles pralines rouges.

J’ai six ans. Cantine de Saint-Augustin. Navets, rutabagas, choux cuits à l’eau sans gras ni sauce.

J’ai sept ans. Nous fuyons, nous, les juifs, l’avancée des Allemands. Charavines, refuge protecteur. Un grenier et ses parfums de noix épandues sur le plancher, de  pommes embaumant l’air. Et aussi la fenaison, gigantesque et bruyante batteuse.

J’ai huit ans. Délicieuses boules de pain bien blanc, pétries et cuites dans le four chauffé au bois, souvenir délicieux pour moi, enfant de la ville.

J’ai quatorze ans. Je garde un troupeau de pouliches, souvent aussi le petit garçon des fermiers. Partage des  larges tranches de pain blanc abondamment tartinées  de miel et  de crème recueillie sur les chaudrons de lait tiédi.

J’ai quinze ans. La guerre est finie. Nous retournons vivre à Marseille. J’en assez d’aller à l’école. Ce n’est vraiment pas pour moi. Je veux travailler,  et même, je veux être pâtissier. Je n’ai pas choisi ce métier par hasard. C’est peut-être même lui qui m’a choisi ! Je suis allé chez mon nouveau patron pendant trois jours, juste pour voir les labos et comprendre un peu son organisation.

J’ai seize ans. Premier jour de travail. Je commence le matin à cinq heures. Je suis motivé, je veux apprendre mais comme il est difficile de se lever tôt !

Lendemains de la Libération. « Le Poussin bleu » retrouve son activité d’antan mais tout continue à être strictement contingenté, sauf les chewing-gums et les cigarettes au goût de miel que distribuent les GI’s. Les matières premières, sont extrêmement rares. Les ouvriers expérimentent en permanence leur savoir-faire en fonction des particularités des produits inhabituels entrant dans la composition de leurs recettes.  Mon patron est le meilleur sur la place de Marseille aussi bien en tant que pâtissier, chocolatier, confiseur, traiteur que glacier. Sa clientèle est essentiellement composée de la bourgeoisie, de l’aristocratie phocéenne. La « maison » a une réputation à tenir ! Plus de quarante ouvriers s’agitent dans le laboratoire en sous-sol, sans compter les commises- serveuses en boutique et au salon de thé. L’exercice est extrêmement périlleux. Les œufs en bidon, d’origine américaine sont en poudre, le lait aussi. La nature des farines varie, comme leur couleur d’ailleurs. Elles contiennent du blé, bien sûr, mais lequel, et dans quelle proportion. Le sucre n’est pas raffiné, plus ou moins roux, au pouvoir plus ou moins sucrant. Quant aux corps gras ils sont très aléatoires, divers. Aussi, devons-nous constamment faire des tests, nous adapter. Ainsi pour faire croire à l’utilisation exclusive de produits frais cassait-on de temps en temps en fin morceaux une coquille d’œuf dans les préparations !

15 février 1946. Je suis arpette, sous contrat de trois ans. Faire la plonge, gratter nettoyer plaques, plats et cornes. Blanchir, émonder, broyer les amandes brûlantes qui sortent du chaudron en cuivre. Séparer les caissettes en papier. Défaire les filets d’anchois sous un filet d’eau froide. Et  le samedi je commence plus tôt encore, pour faire le gros ménage, un très gros ménage. Tout laver minutieusement. Les fours, les échelles, les marbres, sous les marbres, à l’intérieur des frigos, les grands et les petits, nettoyer les machines, tous les robots. Alors, parfois, avec les autres apprentis, quand nous sommes seuls, nous nous défoulons !  Nous nous livrons à de véritables batailles rangées. Les projectiles ? De belles pêches ou de beaux abricots bien mûrs. Vous imaginez ? Les murs, les plafonds, les étagères surchargées dégoulinants de pulpe. Un « chaple » dit-on dans le midi.

Si mon estomac est bien rempli, je n’en sais pas plus à la fin de ma première année qu’à mes débuts sur mon futur métier. Selon une vieille coutume dans la profession le chef détient jalousement le secret de ses recettes. Tout ça pour dix centimes de l’heure ! Je ramène ma maigre paie à la maison.

19 mars 1946. J’en ai vraiment assez de faire le larbin. Avec un copain, escaliers monumentaux de la gare Saint-Charles,  nous nous rendons au syndicat  pour nous plaindre du manque de respect du contenu du contrat par le patron. Le lendemain, de retour au turbin, c’est la raclée. « Où étiez-vous hier soir ? Pleurer au syndicat ?! ». Pauvre de nous, c’est au siège du syndicat départemental des patrons pâtissiers-confiseurs que nous sommes allés ! Notre patron en est  le vice-président ! Le soir même, nous ne nous sommes pas trompés et avons filé au syndicat ouvrier… J’ai très rapidement senti la différence. En six mois j’ai appris toutes les astuces du métier et suis devenu maître glacier, sans gratification supplémentaire, naturellement. Juste pour le plaisir !

31 octobre 1946. Chaque matin, quand nous arrivons, notre premier travail avec Gabriel, un autre apprenti, est de nous occuper des petits fours. Monter l’appareil. Beurre, huile, œufs, mettre à fondre les ingrédients liquides dans la cuve posée sur le gaz.  Les mélanger au fouet. Viennent ensuite les matières sèches,  farine et sucre. Matières sèches et liquides sont incorporées dans la même cuve, après quoi viennent les arômes et les colorants. Le temps que la pâte se repose, je confectionne les tuiles, la chose que j’aime le moins faire ! C’est difficile, ça coule sur les doigts et salit le plan de travail. Ce n’est qu’en fin de matinée que je mets les petits fours à cuire. Nous finissons parfois très tard et comme nous commençons vraiment très tôt, la fatigue est pesante.

C’est ainsi que j’ai eu mon premier accident de travail, en fin de journée, vers les deux heures environ. J’avais une cuisson de petits fours, pour une grosse commande, je n’avais allumé qu’un four. J’avais déjà sorti une dizaine de plaques de petits fours déjà cuits, et  je les avais posées sur une des deux échelles disponibles. J’avais ensuite dix autres plaques à enfourner. Sans m’en rendre compte, j’ai mis une plaque brûlante, sur l’échelle de ceux qui n’étaient pas cuits. Arrivé à la plaque chaude, je l’ai prise à pleine mains, sans les maniques, je pensais qu’elle était sur la bonne échelle. A pleine mains, mais elle n’est pas tombée par terre !! Je ne l’ai pas lâchée, je l’ai tenue, douleur insupportable, mais j’ai réussi à la reposer. Brûlé au deuxième degré, mais ça, je ne l’ai vu qu’après, j’ai mis mes mains sous l’eau froide. Le patron a dit que je n’avais rien, et même que je faisais semblant. J’ai finis la plonge, à l’eau froide, puis le ménage. Je ne pouvais pas sortir les dernières plaques du four car,  dès que je m’en approchais mes mains me brûlaient encore plus. C’est donc l’autre apprenti qui l’a fait. Nous avons réussi à finir à quinze heures trente ! Le patron  m’a dit au revoir, m’a laissé repartir à vélo, sans même prévenir ma mère. Quand je suis rentré elle m’a emmené chez le médecin qui m’a prescrit quinze jours d’arrêt de travail.  Puis j’ai repris.

26 décembre 1946. Le travail est varié. Il m’arrive régulièrement de turbiner à la  chocolaterie, surtout au moment de  Noël ou de Pâques. Les exquis effluves de fèves et d’orange s’exhalant des cuves embaument tout l’atelier. Ils nous feraient presque oublier l’intensité du travail. Ce n’est qu’après toutes ces grosses périodes de travail, que le patron nous a accordé une pause, juste cinq minutes, royal !

2 juin 1947. Aujourd’hui encore, nous avons travaillé à plein tubes, nous commençons un peu de « cuistance ». Ce soir, comme je vais faire les pâtes, je couche là-bas, car demain sera une grosse journée. Pour l’instant le boulot c’est bien effectué. Il ralentit beaucoup en raison de nombreux départs des apprentis et malgré le temps exécrable. Il ne me reste qu’un mois de travail, après, je suis en vacances ! J’ai, moi aussi, fini mon apprentissage. J’ai appris la rigueur, acquis le sens de l’organisation, je suis devenu autonome. La sensibilité naturelle que je possédais déjà tout petit s’est développée. Forme, décoration, couleurs artistiques de ce « métier de bouche », qualités gustatives et équilibre organoleptique des produits sont devenus fondamentaux pour moi. J’aime tendre à la perfection.

30 octobre 1947. J’ai dix-neuf ans. Je suis maintenant un bon « demi-ouvrier ». Je me rends à Paris. Nous y avons de la famille, je ne serais pas seul. Je suis parti ni pour chercher la gloire ni pour faire fortune. Je viens pour me parfaire. Un nouveau patron m’attend. Ma mère a trouvé une logeuse, madame Levy, Villa Dury Vasselon, porte des Lilas, dans le XXe. Je paie mon logement. Une fois par semaine je vais au théâtre ou au cinéma et mange au restaurant. Je m’achète mon premier vélo neuf. A moi la capitale !

1er novembre 1947. Premier jour de travail à Paris. Quel changement ! Ici, rue de l’abbé Grégoire, nous travaillons à l’étage d’un bâtiment dans un labo tout en longueur, le long d’un grand couloir central. Dans une deuxième pièce se trouvent les frigos, c’est là que se font les brioches, sur un grand marbre. Tout au fond, deux grands fours et le piano, sur le côté, à gauche, la plonge. Finie l’atmosphère confinée de la cave du labo de Marseille !  La chocolaterie, elle, est au rez-de-chaussée, tout comme la boutique. Au rez-de-chaussée sont aussi stockées toutes les autres matières premières, dont le chocolat, dans de grosses boîtes d’au moins cinquante kilos. Sous les plans de travail et dans les frigos, se trouvent aussi les ingrédients, utilisés au quotidien. Ce qui est nouveau c’est que l’apprenti, les ouvriers et moi-même devons décharger toute la marchandise que nous livre le fournisseur au moins deux fois par semaine et la monter, pour partie, à l’étage. La qualité des ingrédients a bien changé, elle aussi. Le patron originaire de la Baie Saint-Michel a mis en place un ingénieux système de livraison des matières premières : mottes de beurre de dix kilos, la viande, du gigot de pré-salé est de toute première qualité, œufs extra frais, et calvados distillé par le voisin. Et pour ne rien gâcher, c’est deux fois par semaine qu’il se rend aux halles, le ventre de Paris, et achète champignons, fruits, légumes et coquilles Saint-Jacques.

Les journées sont toujours aussi longues, huit à dix heures par jour, je me lève à quatre heures du matin mais bénéficie de trois semaines de congé, comme tous les jeunes de moins de vingt et un an.

La cour, commune à un hôtel qui loge des étudiants, et c’est la découverte de la musique vivante grâce à des Amerlocs qui habitent au rez-de-chaussée. Ensemble, nous travaillons au rythme du jazz et de la musique classique, fenêtres ouvertes, j’abaisse la pâte au rythme de Mozart. Ils sont Ajistes, comme moi.

19 mars 1948. Certaines semaines sont plus chargées que d’autres. Aujourd’hui, deux grosses commandes. Un baptême, d’une part, et deux anniversaires pour une même famille, d’autre part. Petits pains, sandwich, petits fours glacés et secs, lunch, flans, poissons décorés sur plat, poulets, langoustes. C’est drôle, la guerre est finie depuis à peine quatre ans et les gens ont du pognon plein les poches !

J’ai fait, seul, trois mokas. Arômes de café et de chocolat,  moelleux de la génoise, onctuosité de la crème au beurre. L’un pour quinze personnes, l’autre pour huit et le dernier pour trente-cinq personnes. Le plus lourd pèse deux kilos cinq cent, belle superficie à décorer !! Le Patron a embauché trente-cinq personnes pour le service. Catastrophe ! L’une d’entre, en portant le gâteau par en-dessous a esquinté le décor. J’ai dû refaire l’inscription !

La journée n’était pas finie pour moi. Je vais livrer de la glace en sorbetière au directeur des Magasins réunis, il habite en face des « Reflets », le cinéma d’art et d’essai, au coin de l’avenue Niel. Il m’a ramené aux Lilas en voiture car mon vélo était crevé. Deux trous et un seul clou.

5 octobre 1949. Sans déposer aucune revendication au Patron, il m’a augmenté de 10% ! 75 francs, presque 2 billets en plus par mois ! Ils doivent être rares les « Jules » de cet acabit !  Aujourd’hui je me suis abonné au « Pâtissier moderne », une revue d’art gastronomique, éditée par la société grâce à qui j’ai trouvé cette place. C’est très bien fait, ça traite de cuisine, confiserie, pâtisserie avec des menus et le détail de la fabrication de mets. Des recettes, des modèles d’entremets. Je crois que mon ancien patron, du Poussin, recevait cette revue.

7 décembre 1949. Ce matin, j’ai passé le conseil de révision.  Une presque « grasse matinée », levé à sept heures et demie. Une heure plus tard j’étais devant la mairie avec deux cent gars environ. Les officiels ne sont arrivés qu’à neuf heures et quelques, l’exactitude militaire ! Les gars avec qui je parlais, des étudiants sont d’accord, aucun ne veut partir contre les Vietnamiens, ni combattre aucune grève ou manifestations.  Ils n’ont pas d’idée combattive ou belliqueuse. Le toubib, un bon vieux barbu et moustachu m’a dit que pâtissier était un bon métier ! Il m’a raconté que lorsqu’il était jeune il  faisait des folies avec les gâteaux. Nous avons ainsi discuté alors que moi, j’étais à poil naturellement ! Lui, me faisant des dessins  de gâteau, sur son bureau, des verts, des roses … Cela a bien duré cinq bonnes minutes sous l’œil amusé des copains.

Hier soir je suis allé au théâtre de l’Etoile voir Yves Montant. Orchestre  impeccable. Yves était derrière un tulle bleuté, et une fois, les projecteurs allumés, on ne voyait plus que ses mains, son visage, les touches blanches du piano et le nickel des instruments. Tout ce qui était noir ne se voyait absolument pas. Formidable ! Quant à Yves, ce fut du délire ! Jamais je n’avais vu et entendu cela à Paris. Une atmosphère, un enthousiasme inouï. Après, un silence écrasant. En sortant, du théâtre, je fus surpris par tout l’éclairage et la publicité au néon, et autres tubes fluorescents (l’éclairage publicitaire a été autorisé par l’E.D.F). Magnifiques illuminations sur tous les Boulevards.

1er janvier 1950 Pour les fêtes du nouvel an nous avons turbiné à plein réacteurs. Travail fantastique mais je n’ai pas beaucoup dormi depuis quelques jours ! Nous avons réveillé les « femmes » à 4 heures ce matin pour nous sortir du « jus » et aider à la fabrication. Que d’entremets, pithiviers, petits fours glacés, fruits déguisés et autres vols au vent !! Records battus. Je commence à me faire bon sur les entremets. Enfin, voilà les fêtes passées, encore deux dimanches à venir, très durs, et la période la plus harassante de l’année sera passée. Par contre, j’ai fait une bonne quinzaine avec l’indemnité de transport, les étrennes, et les pourboires ! A la fin du service, nous mangeons au boulot, comme d’habitude, et comme c’est fête, c’est encore plus copieux qu’à l’accoutumée. Douzaine d’huitres, arrosées de vin blanc, poulet, et curaçao, comme pousse-café.

8 janvier 1950. Après Noël, jour de l’an, vient  la journée des rois. Il y a tant de travail que dimanche soir je couche chez le patron. Qu’est-ce que nous avons fait comme galettes !!! Je ne sais ce que les gens, trouvent de bons dans ces galettes de feuilletage pur ! Où sont nos couronnes en brioches au sucre, et décorées de fruits confits ?? Loin, à Marseille !! Et trois repas pour douze personnes chacun, une langouste, et j’ai réussi deux roses roses en sucre tiré. Je suis loin du vieux suisse du Poussin ; présentables, le « Bos » les a trouvées jolies, ne sachant pas les faire. Ou les gens ont trop d’argent ou ils sont fous. Cela ne durera pas éternellement, heureusement, et à la fin du mois ils seront tout étonnés de trouver leur « escarcelle » vide. Cette semaine est terrible, heureusement que c’est provisoire, sans cela je ne continuerai pas. Enfin, lot de consolation, je me suis fait une semaine en conséquence avec un peu plus de cinq cent balles de pourboire patronaux. Enfin je commence à m’entraîner à décorer les pièces montée à la glace royale. Dimanche dernier, ensemble, nous avons bu une bouteille de champagne, avec des  sandwichs au foie gras, des crevettes comme de vulgaires rupins !

3 mai 1950. Samedi matin, quatre heures. J’arrive. Le patron me dit d’un air triste qu’il est arrivé une commande et qu’il a bien peur de ne pas pouvoir me laisser sortir demain : quatre pièces montées dont une pour un baptême, quatre tartes aux  fraises pour quarante personnes, une pour douze et une pour dix personnes. Nous rivalisions facilement avec un traiteur pâtissier du coin. Un plat de soles normande, des poulets rôtis, divers sandwichs au foie d’oie, jambon, beurre d’anchois, crevettes le tout pour un lunch. Les ouvriers pâtissiers qualifiés sur la place de Paris sont extrêmement rares. Il n’y a plus de chômeurs pour l’instant ! Il me conseille d’aller trouver un ouvrier boulanger pâtissier, chômeur à Vanves et de lui offrir de venir à ma place. Grosse, très grosse journée. Fruits déguisés, etc… un franc succès auprès des clients, qui nous ont félicités pour leur finesse. Nous avons ma foi, fait un bon repas à midi avec le patron et les ouvriers. Asperges en vinaigrette, paupiettes en sauce, carottes, champignons à foisons et calva en quantité, Fromage, et fruit.

4 mai 1950 Le copain remplaçant arrive !! Je dansais presque de joie. Surtout que depuis le matin le ciel était d’un bleu, 100% méditerranéen. J’ai bâclé le reste du boulot en un temps record. A seize heure, avec douze heures de boulot dans les pattes, un dîner, poulet dominical sur l’estomac, et un soleil de laiton sur le sommet du crâne, j’ai mis une heure trente pour accomplir les quarante kilomètres, et rejoindre mes copains qui partaient aux pissenlits, qui ma foi étaient durs, coriaces et rares. Nous les avons quand même mangés en salade.

5 juin 1950. Maintenant les grosses commandes sont terminées. Chaleurs étouffantes et caniculaire, la vente du pain et des gâteaux a diminué d’un tiers, surtout les gâteaux à la crème. Par contre les tartes aux fraises et les glaces marchent bien. A une heure et demie nous sommes tous partis en voiture déjeuner sur l’herbe, après Villacoublay. Il ne faisait pas formidablement beau mais enfin il ne pleuvait pas. Bien mangé, bien bu, bien joué au ballon, couru. J’en ai encore des courbatures dans les genoux et dans les bras. Tout le monde jouait, même la maigre patronne. Ce soir je me suis couché de bonne heure, rue de l’abbé Grégoire, n’ayant pas le courage de remonter aux Lilas.

9 juin 1950. Le médecin a diagnostiqué un mal blanc au pouce gauche. J’ai Interdiction de travailler pendant au moins une semaine. Je dois baigner mon doigt deux fois par jour. Ce soir je vais voir le « Singe » pour voir si je mets ça sur le compte d’un accident ou d’une maladie et toucher ma paye. Il y a du soleil… des oiseaux. Le ciel est d’un bleu pur, la brise nord-Sud, la température, chaude. Le plus triste dans l’histoire c’est qu’il m’est défendu de faire du vélo et de la natation. Mes journées passent excessivement vite. Demain j’ai accepté de faire le chef dans la boite pour que le Patron puisse rester à la clinique pendant l’opération de son fils. Je ne ferais absolument rien. J’indiquerais la place des ustensiles, la manière de faire à l’ouvrier qui me remplace.

22 juin 1950. Ce matin j’ai repris mon travail, en pleine forme (ça serait malheureux) le boulot à considérablement ralentit. Nous avons fini une heure plus tôt, à quatre heures. Un « crétin » de bar de la rue de Renne vient maintenant jusque chez nous pour acheter tous les matins de 60 à 80 croissants, plus 20 à 36 pour l’hôtel « Américanisé », donc du boulot supplémentaire. C’est quand même malheureux que nos croissants soient bientôt les meilleurs du VIème !! A midi nous avons mangé du lapin sauté avec de la purée de pomme de terre au jus, de la salade, du fromage et fruits. Après quoi je suis allé chez le toubib chercher mon certificat de reprise de travail et effectuer divers courses. Encore  cinq bonnes semaines de travail et ce sera les vacances.

8 juillet 1950. La chaleur se poursuit. Je vais bientôt être convoqué pour partir au régiment. Je veux  être chasseur alpin, j’en suis capable. Je veux être à la pâtisserie, je ne marcherai que s’ils me mettent dans un mess d’officiers, sinon je préfère crapahuter dans la montagne.

Je n’avais jamais vu cela ! Déjà le matin j’avais flairé le grain quand j’avais pris notre prolétarien Métropolitain. Tôt, l’après-midi, il faisait presque nuit, les nuages congestionnés rasaient presque les toits, et l’eau qui dégringolait n’avait pas le temps de se transformer en gouttes, de véritables « paquets de mer » s’écrasaient sur les toits et sur les murs, se vaporisant comme des vagues sur les rochers. C’était vraiment formidable comme force.

1er  octobre 1950. Plus que trois dimanches maximum et l’aventure » commence ! Je vais découvrir un pays, le Maroc. J’ai le cœur qui bat fort.

Rédigé par Martine Silberstein

Publié dans #Textes personnels

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